Le Quinoa
Le quinoa
A voir les champs de quinoa qui s'étendent à perte de vue sous le soleil des hauts plateaux boliviens, à plus de 3 700 mètres d'altitude, on comprend mieux pourquoi les peuples andins l'ont surnommé "graine d'or". "Nous l'appelons aussi chisihuaymama, qui veut dire 'mère de tous les grains' en aymara", sourit Valentina Rodriguez, une agricultrice de la communauté de Cotimbora, au sud de la Bolivie.
Connu pour résister depuis des millénaires aux difficiles conditions climatiques, le quinoa a toujours fait partie de cette région proche du désert de sel d'Uyuni. "Mes grands-parents le cultivaient", se rappelle Valentina. Longtemps confinée dans les Andes, la graine d'or fait aujourd'hui le bonheur des tables bio du monde entier. Riche en protéines, acides aminés, oligoéléments, vitamines et sans gluten, la "pseudo-céréale", comme on l'appelle pour sa ressemblance à une graminée, alors qu'elle fait partie de la famille des épinards (chénopodiacées), s'est imposée dans les assiettes.
Très prisé aux Etats-Unis, en Europe du Nord, en France ou encore en Australie, le quinoa et ses qualités nutritives vont bien au-delà d'une simple mode écolo. A en croire l'ONU, qui vient de déclarer 2013 Année du quinoa, la plante pourrait résoudre les problèmes mondiaux de sécurité alimentaire et de dénutrition. Un argument de plus pour justifier un engouement, né à la fin des années 1980, et qui bénéficie aujourd'hui à la Bolivie, premier exportateur, devant le Pérou.
"LE QUINOA NOUS A PERMIS D'ENVOYER NOS ENFANTS ÉTUDIER"
Ayant exporté plus de 26 000 tonnes en 2012, le pays andin fournit 46 % du quinoa consommé dans le monde. "Quelque 52 % de la production va vers les Etats-Unis, 12,5 % vers la France", détaille le directeur de l'Institut bolivien de l'innovation agricole et forestière (INIAF), Lucio Tito, qui attend des gains record de 80 millions de dollars (61,4 millions d'euros) en 2013.
Des résultats liés à l'envolée du cours de la plante. En janvier, le quinoa royal atteignait 3 200 dollars (2 450 euros) la tonne sur les marchés internationaux, un prix multiplié par trois en six ans. "Nos ancêtres n'en croiraient pas leurs yeux", réagit Ciprian Mayorga, un producteur de Salinas de Garci Mendoza, près d'Uyuni, qui se rappelle les années 1970 quand le quintal de quinoa se vendait à 40 pesos (3,8 euros) contre plus de 800 pesos aujourd'hui. "Les revenus du quinoa depuis 2005 nous ont permis de construire une petite maison en ville et d'envoyer nos enfants étudier. C'était impossible avant", raconte l'agriculteur de 67 ans, conscient que "la hausse des prix a tout changé dans les campagnes."
Des milliers de Boliviens ont ainsi repris la route de leur village d'origine. Aux alentours de Challapata, le quinoa prolifère désormais. "Avant, les prés étaient réservés à l'élevage, mais maintenant, tout est quinoa", raconte Antonia Choqueticlla, une couturière de profession qui cultive des plants depuis six ans. "Avant, cela ne valait pas la peine de produire, mais aujourd'hui, c'est toute la famille qui s'est remise à cultiver", témoigne Juvenal Romero, un habitant de Challapata qui travaillait, jusqu'en 2008, dans une fonderie, à quatre heures de là. "En six ans, la superficie semée de quinoa a doublé dans le pays, dépassant les 104 000 hectares en 2012", confirme Lucio Tito.
L'intensification des cultures, avec l'usage des tracteurs, a préoccupé chercheurs et autorités : "Les agriculteurs sont passés de petites parcelles plantées à la main sur des coteaux à des cultures en plaine mécanisées", indique Thierry Winkel, agroécologue de l'Institut français de recherche pour le développement (IRD), qui a coordonné une enquête sur l'émergence du quinoa dans l'économie mondiale. Après quatre années d'étude, l'IRD n'a pas trouvé traces d'épuisement des sols dus au quinoa. "Les rendements sont faibles, mais c'est surtout dû au climat et à un mauvais semis", estime M. Winkel, qui se félicite de l'attitude des producteurs qui ont peu à peu corrigé les pratiques menaçant les sols.
UNE PLANTE À L'EXTRAORDINAIRE CAPACITÉ D'ADAPTATION
Ce faisant, ils suivent les recommandations de l'Association nationale des producteurs de quinoa (Anapqui), forte de 2 000 membres, qui conseille, par exemple, de reprendre la mise en jachère, une technique qu'ils avaient abandonnée. L'Anapqui oblige aussi ses producteurs à avoir un minimum de bétail par hectare cultivé. Selon les agriculteurs, une terre des hauts plateaux recevant un bon fumier peut produire jusqu'à 30 quintaux par hectare, contre 10 en cas contraire.
"Nous restons vigilants afin d'éviter que l'essor de la production de quinoa n'affecte pas les sols et l'environnement", insiste Lucio Tito, qui assure que l'Etat va limiter l'emploi de produits chimiques et l'usage excessif de tracteurs dans les grandes propriétés. L'INIAF est aussi conscient que la surface de quinoa va continuer de croître, au détriment d'autres cultures, ce qu'il faudra surveiller. "En plus de la hausse du prix, le quinoa a la particularité de résister au changement climatique qui affecte actuellement certaines variétés de pommes de terre", explique l'ingénieur agronome, rappelant que la graine supporte des températures de -4 oC à 38 oC.
"Le quinoa a une extraordinaire capacité à s'adapter à différents terrains", loue le rapport des Nations unies consacré à la plante. Conséquence : on le cultive désormais aux Etats-Unis, au Canada, en Angleterre, aux Pays-Bas mais aussi dans le val de Loire, en France, depuis 2006, bien loin des hauts plateaux andins.
Une concurrence qui inquiète les producteurs boliviens ? "Toutes ces variétés ne pourront rivaliser avec notre quinoa royal, qui ne pousse qu'autour du désert de sel d'Uyuni", assure le président d'Anapqui, qui travaille à l'obtention d'une appellation d'origine.