Les asperges ? À l'huile ou au beurre ?

Les asperges ? À l'huile ou au beurre ?

L'asperge signe sur nos tables le retour du printemps.
Verte, violette ou blanche, elle est une même plante
dont la couleur dépend uniquement de son mode de culture.
Buttée, elle reste blanche pendant sa croissance souterraine et acquiert une teinte violacée à l'approche de la lumière. Ce n'est que lorsque s'exerce la fonction chlorophyllienne que sa surface aérienne prend une couleur vert sombre. Sa croissance dépend alors de la température : à 17 °C, l'asperge verte pousse de 5 cm par jour. De là, peut-être, la recommandation de regarder pousser un champ d'asperges que faisait à ses patients un célèbre aliéniste pour revigorer leur désir.

L'asperge appartient à la même famille botanique que l'oignon, la ciboulette, ou encore le poireau. Mais elle est chère. Francis Blanche estimait que « l'asperge est le poireau du riche ».

Les asperges doivent être fraîchement cueillies. On doit les cuire debout, la pointe hors de l'eau. A la maison, tièdes ou froides, on les accommode le plus souvent en vinaigrette, à la sauce mousseline, ou bien au citron et au parmesan comme en Italie, ou à la flamande, avec un beurre fondu citronné et un hachis d'oeufs durs.

L'asperge inspire les chefs. Alain Ducasse les aime crues. Sur son site (alain-ducasse.com), le grand chef monégasque recommande d'apprêter les asperges vertes de Robert Blanc à Lauris (Vaucluse), les unes crues en fins copeaux assaisonnées à l'huile d'olive et fleur de sel, quelques autres sautées à cru, puis mêlées à des oeufs mollets, des coquillages (palourdes, coques, couteaux), le tout relevé d'ail confit.

A Paris, Alain Dutournier, au Carré des Feuillants, dresse les asperges vertes de Pertuis (Vaucluse) avec un coulis de truffe et un oeuf en coque d'asperge. Au Meurice, Yannick Alléno souligne la fine amertume des asperges vertes avec un chaud-froid de saumon fumé, tandis qu'Eric Briffard (Le Cinq) cède à la sophistication d'une composition de morilles et asperges d'Argenteuil (Val-d'Oise), les premières accompagnées d'un risotto, les secondes d'une mousseline à la réglisse. Le jeune Guillaume Delage, au Jadis, apprête quelques morilles à la crème et au savagnin qu'il accompagne d'un feuilleté d'asperges de Mallemort (Bouches-du-Rhône).

Les asperges ont aussi inspiré les peintres - Chardin et Manet - et les écrivains. Jean-Jacques Rousseau avoue sa « friponnerie » qui le rendit complice d'un vol d'asperges, tandis que, dans Jean Santeuil, Marcel Proust rêve d'un champ de dix mille asperges en pleine effervescence. La morale bourgeoise, cependant, reste sauve, car si on mange l'asperge avec les doigts chez les Verdurin, on se sert du couteau et de la fourchette chez les Guermantes.

Le philosophe Fontenelle (1657-1757) a laissé son nom à plusieurs recettes au beurre fondu, qu'il appréciait par-dessus tout. Il avait, un jour, invité à partager un cent d'asperges son ami l'abbé Terrasson qui ne les appréciait qu'à l'huile et au vinaigre. On décida de faire moitié au beurre, moitié à l'huile. Mais l'abbé fut subitement terrassé par une crise d'apoplexie. Fontenelle, sans perdre un instant, se précipita à l'office en criant : « Les asperges, toutes au beurre ! » Il vécut centenaire.